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Mr. Nagashima and the garbage houses – INTENTION NOTE

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Comme beaucoup d’occidentaux je reste habité par l’image mythique de la maison Japonaise idéale. Un espace sobre et net occupé par peu d’objets, peu de meubles. La géométrie des tatamis répondant à celle des cloisons coulissantes aux petits carreaux translucides de papier de riz à travers lesquels filtre une lumière délicate … Hors de toute réalité. Et soudain je découvrais que certains japonais vivent exactement le contraire. Ils habitent des appartements minuscules au sol recouvert par 1m 20 d’immondices, emballages vides et détritus organiques en putréfaction mêlés aux vêtements sales qui bouchent le passage. Des déchets qui les obligent à tenir les rideaux fermés tant ils leur font honte et corrompent l’atmosphère de leur puanteur insupportable.

Monsieur Nagashima habite près la région de Nagano. Il dirige une entreprise de débarrassage des maisons habitées par les japonais atteints du syndrome de Diogène, ce mal qui pousse ceux qui en sont atteints à tout conserver. Un mal particulièrement développé dans le pays, au point que ce genre d’entreprise s’est multiplié ces dernières années. Mais monsieur Nagashima est différent des autres ramasseurs. Il a une vision presque artistique de cet univers qu’il filme et poste sur les réseaux sociaux sur fond musical pop. Il se met en scène avec son équipe, posant souriants devant des centaines de bouteilles de soda à moitié vides aux capsules bariolées, une montagne de cannettes multicolores cabossées, un océan de bols de nouilles instantanées, ou charriant des monceaux de détritus. Comme moi des milliers de followers lui sont fidèles. Il a des fans dans de nombreux pays. Après avoir suivi, fasciné, ses aventures durant plusieurs mois en ligne, je le contactai pour lui proposer de faire un film sur lui, et son activité.

J’ai tourné mon second long métrage (de fiction) au Japon, je parle japonais. J’y ai une petite équipe locale avec qui je travaille régulièrement. Je connais bien ce pays où l’aide psychologique est quasiment absente tant on a honte de ses faiblesses ou de tout ce qui peut y ressembler. L’approche de monsieur Nagashima, généreuse, positive, visuelle, et pleine de fraicheur me semblait l’angle idéal pour aborder l’un des problèmes de société les plus préoccupants pour l’avenir du monde : la multiplication des déchets que nous générons chaque jour. De toute évidence c’est avant tout un problème écologique. Mais je voulais aborder sa dimension mentale et humaine, à hauteur d’individu. Car, si chez certains elle atteint le niveau d’une pathologie dévastatrice, n’avons-nous pas tous une petite tendance à chérir les montagnes de déchets que nous produisons ? À nous laisser envahir par des objets inutiles et déchus qui nous protègent de notre peur du vide dans nos maison et dans nos vies ?

Monsieur Nagashima a accepté immédiatement de collaborer avec moi. Je lui expliquais que je voulais filmer son travail, l’écouter en parler lui et ses aides, rencontrer ses ex-clients, utiliser aussi les images qu’il produisait avec son téléphone et publiait sous différents formats, de Tik-Tok à YouTube en passant par Facebook et Instagram.

Avec lui s’est établi à distance une connivence immédiate, lui dans sa ville de province japonaise reculée, moi en France.

Bien entendu, il restait à convaincre ses clients de me parler… Il existe des Diogènes occidentaux. Ce sont majoritairement des personnes âgées, ou désocialisées, sans travail, sans ressources, sans vie sociale, très seuls. À la mairie de Paris, ce sont les équipes de gériatrie qui prennent en charge ce problème. Elles sont souvent amenées à faire nettoyer de force ces appartements et déplacer en Ehpad leurs occupants. Au contraire, les clients de monsieur Nagashima sont jeunes, majoritairement entre vingt et quarante ans. Ils ont tous un emploi ou font des études. Ils ont une vie sociale et « présentent bien ». Leur famille et leurs proches ignorent leur situation qui reste un secret jalousement gardé. Il n’est pas anormal de n’inviter personne chez soi au Japon, collègues, amis ou parents, jusqu’aux partenaires amoureux que l’on voit au Love-Hôtel. Aucun soupçon ne pèse sur eux. Pourtant on leur devine une part de schizophrénie. Ils sont cadre d’entreprise ou professeure de lycée à l’apparence lisse et proprette à l’extérieur. Mais à l’intérieur de leur maison, derrière sa porte fermée, ils sont clochardisés dans un univers où pullulent les immondices, les moisissures, et les insectes parasites.

La plupart des clients de Monsieur Nagashima décident seuls un jour de faire appel à ses services. Un évènement déclenche cette décision : une visite des parents, la décision de se marier… Ils règlent la facture eux même sans rien révéler à personne. Grâce à lui ils recommencent leur vie comme si rien ne s’était passé.

Sur une vingtaine d’ex-clients contactés très peu ont consenti à me rencontrer et seule une poignée a accepté l’idée d’être filmé, à la condition de pouvoir porter un masque chirurgical et de modifier leur nom. Des conditions qui me convenaient. Je ne voulais surtout pas faire d’eux la proie des media ou des réseaux sociaux japonais mais seulement comprendre leurs sentiments face à la mécanique du désordre qui les emporte peu à peu. Découvrir leur quotidien, les stratégies qu’ils mettent en œuvre pour survivre. Et enfin de comprendre comment ils prennent la décision de changer de vie et de faire tout débarrasser. De leur poser aussi la question de fond : vont-ils réussir à s’y tenir ou vont-ils recommencer ? Est-ce fini ?

L’écriture de ce film était une question de rencontre, d’empathie, d’ouverture. Il fallait réussir à passer au-delà des barrières érigées par mes personnages sans les juger, sans les considérer comme malades, ou coupables. Ces deux notions ont tendance à se rejoindre dans l’univers japonais. Cependant comme je suis un étranger mes interlocuteurs se racontent plus facilement qu’à leur habitude. Face à moi ils échappent à la honte car je fais partie d’un autre univers. Mon langage y est pour beaucoup. Je parle bien le japonais et comprends ce qu’ils me disent, mais je manipule parfois mal les différents niveaux de politesse qui font qu’en japonais on change de grammaire et même de vocabulaire selon l’âge, le niveau de richesse ou d’intégration sociale de son interlocuteur.  Il arrive que je mélange ces niveaux par inadvertance. Je deviens amical ou j’utilise une formule exagérément respectueuse ou officielle… Ils en rient. Je ne suis pas intimidant. On me parle comme on veut, sans y faire attention, on peut s’ouvrir sans avoir à discipliner ses mots.

S’ils s’ouvrent et me parlent, Monsieur Nagashima, mon personnage principal, reste le seul à qui ses clients dévoilent vraiment tout. Il est donc mon témoin privilégié. En nettoyant ces maisons avec le sourire et en plaisantant sur YouTube il dédramatise, il distancie. La catastrophe semble devient un simple incident de parcours un peu risible. Ainsi il permet à chacun de se reconstruire sans honte, de redémarrer dans la vie.

Il s’agit d’une leçon de philosophie pour nous tous : la première démarche vis-à-vis des pathologies comme le syndrôme de Diogène ne consisterait-elle pas à poser en principe le fait que ceux qui en souffrent sont finalement des gens comme nous qui ont dérivé ? Ne faut-il pas commencer par les réintégrer dans la communauté, poser en principe le fait que la « normalité » n’existe pas ? Il s’agit d’une tâche difficile dans ce pays où la « norme » est reine et la « normalité » mal définie.

Mais monsieur Nagashima ne pense pas à tout ça. Ce n’est pas un littéraire ni un intellectuel, il s’exprime parfois difficilement. C’est seulement un homme qui ramasse des ordures avec gentillesse, tolérance et empathie. Il ne cherche pas à comprendre ou à percer les secrets dont il est le dépositaire. Et parfois, sous l’œil de sa caméra, il découvre de la beauté.

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